jeudi 11 juin 2015

Michel et les crayons magiques

Michel était un grand amateur de la magie scientifique. De temps en temps il faisait d’incroyables découvertes et construisait toute sorte d’engins utiles, peu utiles et complètement inutiles. Peu importe le résultat, Michel ne désespérait jamais. Un sacré caractère!

Pour bien entretenir ses pouvoirs Michel utilisait la moindre opportunité pour pratiquer de la magie. Le plus souvent il canalisait son énergie sur les chaussettes. Il y arrivait mieux avec les chaussettes neuves plutôt qu’avec les vieilles chaussettes trouées.

Une fois il réussit à faire disparaître une chaussette par la seule force de sa pensée, sans la toucher du tout. Par contre, après sa disparition il y eut un scandale, car le lendemain matin maman la trouva dans une théière !  

Une autre fois Michel mit toute une semaine pour achever son invention. Il taillait les crayons de couleur sans arrêt, il les mélangeait avec de l'argile, de la confiture et des fleurs séchées et soigneusement  pilées. Ensuite il sculpta des boudins avec ce mélange. Il faut dire qu’il resta très content du résultat !

Le soir quand les parents rentrèrent du travail Michel les invita de s’asseoir sur le canapé pour une démonstration.

– Ce sont des crayons magiques, annonça-t-il en montrant les boudins. On peut dessiner tout ce qu’on veut avec. Ensuite, il faut attendre un peu, et l’image se transformera en objet réel !

– Ca a l’air intéressant ! dit sa mère. Dessine-moi, s'il te plaît, une poêle. Justement, demain je pensais en acheter une nouvelle de la quincaillerie.

Sans dire un mot, Michel se mit à tracer une poignée avec un trou. Puis, il ajouta un petit rond à l’extrémité de cette poignée. Un rond pas très rond. Un rond un peu trop petit pour une poêle. Après quoi Michel s’assit sur le canapé à côté de ses parents.

– Elle est où, ma poêle ? demanda maman en regardant ce dessin tordu.

Michel toussota, un peu confus.

– Un petit instant, - dit-il, et tout le monde fixa la feuille du dessin.

En effet, quelques minutes plus tard la poêle apparut. Toute riquiqui et avec une poignée absurdement longue.

– Saperlipopette ! dit maman. – Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec cette chose? Encore une de tes farces !

Et elle retourna à la cuisine. Offensée.

– Ne t’inquiètes pas, fiston, murmura papa. Tu réussiras la prochaine fois !

Papa réfléchit à quelque chose.

– Tu pourrais peut-être me faire des chaussettes, fils? demanda-t-il. Les miennes sont toutes disparues. Même les neuves. J’ai peur de le dire à maman car la semaine dernière elle m’en a acheté six paires ! ça l’aurait mis hors d’elle !

Michel toussa encore. Cette fois-ci il devint tout rouge, en plus. Car il était le mieux placé pour savoir où disparaissent les chaussettes !

– De quelle couleur tu les veux, papa ? demanda-t-il.

– Peu importe. Par contre, j’aimerais qu’elles soient à ma taille !

Michel dessina une chaussette. Ensuite, une autre. La première était rouge, la deuxième bleue aux pois jaunes. Les deux avaient l’air assez décent.

Papa les essaya immédiatement.

– Ce n’est pas mal… Je veux bien te commander quelques unes de plus !


Depuis, Michel dessina beaucoup de choses avec ses crayons magiques. Evidemment, la moitié d’entre elles finirent à la poubelle. L’autre moitié fut donné au musée de phénomènes extraordinaires. Seules les chaussettes restèrent  à la maison. Maman les laissa pour papa.

Masha Chammas, 2014

Le chagrin et le bonheur de Jacques Bleumuseau


"Les chagrins et le bonheur de Jacques Bleumuseau", 2015

Un loup de ville réalise peu à peu qu'il n'y a pas sa place. Les habitants l'évite, se moquent de lui ou le chassent carrément. Il tente à tout prix de se réintégrer pour prouver qu'il est l'un de leurs. Va-t-il y parvenir ou ses tentatives sont vouées à l'échec?...

Existe en français et en russe.

Il était une fois un loup qui habitait en ville. Un loup au prénom de Jacques. Un loup au museau bleu. Il faut dire que dans cette ville on n’aimait pas tellement les loups, et encore moins les loups aussi bizarres. Bref, sa vie n’était pas simple.

Pas étonnant que sa maison se situait à la limite de l’agglomération, près de la forêt. Durant la journée il n’osait pas mettre ses pieds dehors afin de ne pas risquer sa peau. C’est la nuit qu’il prenait son parapluie, boutonnait tous les boutons de son duffle-coat et sortait faire une promenade.

Il aimait marcher en écoutant les sons des gouttes de pluie solitaires qui tombaient des toits. Dans le noir certaines fenêtres laissaient échapper une douce lumière des téléviseurs. Ca lui faisait du bien. Très urbain dans sa tête, il se demandait souvent devant une tasse du chocolat chaud, comment se faisait-il qu'il avait été né un loup. Pire encore, un loup au museau bleu.

Une nuit, comme d’habitude, Jacques Bleumuseau se promenait dans les rues silencieuses. Puis, il vit un lampadaire orange dont la lueur avait rassemblé autour de lui tout un nuage de papillons. Jacques s’arrêta pour le contempler. Ensuite, son attention fut attirée par un dessin du cœur transpercé par une flèche, griffonné sur le mur d’un immeuble. Même les enfants savent que des cœurs comme ça représentent les amoureux. Mais, puisque les loups ne connaissent pas grande chose dans les symboles humains, Jacques regarda tout simplement en direction de la flèche.

Elle pointait vers le haut et légèrement à droite.

En haut et légèrement à droite il y avait un arbre. Ou, plutôt, le sommet d'un arbre. Quelque chose y vacillait, attaché à une branche.

Jacques Bleumuseau accrocha son parapluie sur la branche la plus proche, frotta ses mains et entama l’escalade.

« J’aurais préféré être un chat, - pensait Jacques en grimpant, - comme ça, les gens m’auraient câliné au lieu de me détester, et puis j’aurais eu moins de mal à escalader les arbres ! »

Quand il atteignit finalement le sommet il vit que l’objet mystérieux était une bourse toute remplie de poudre scintillante que Jacques trouva en l’ouvrant. Une notice sur une vieille feuille de papier l’accompagnait:

«GLACES DU BONHEUR. AJOUTER. 3 C. A CAFE POUR 1 CASSEROLE DE LAIT. PRENDRE AVEC PRECAUTION. ACTION PERMANENTE ».

Jacques referma soigneusement la bourse, mit la notice dans sa poche, puis il descendit de l'arbre et rentra chez lui.

Le lendemain, au réveil, il se mit à réfléchir à ce que cette drôle de notice pouvait signifier. Mais comme les loups préfèrent l'action à la philosophie, Jacques passa aussitôt à la préparation d’une crème glacée. Heureusement, très jeune il avait appris à faire ça de sa maman.

Il prit une grosse casserole, la plus grosse qu’il trouva dans sa cuisine. Il y versa tout le lait qu’il y avait dans son frigo. Puis il ajouta trois cuillères à café de poudre mystérieuse, comme c’était indiqué dans la notice. Ensuite il continua la préparation en suivant à la lettre la recette de sa maman, et bientôt la crème glacée était prête.

« Maintenant, je vais aller vendre mes glaces dans la ville, - se dit-il, - et si la notice dit vrai, alors les gens qui en mangeront vont devenir heureux. Ils n’auront plus peur de moi et arrêteront de me chasser de partout. Ainsi je pourrais  me balader en ville quand je voudrais ! »

Et Jacques Bleumuseau mit le tablier blanc de sa mère, une toque d'un chef, posa sa casserole de crème glacée sur une charrette, y accrocha des ballons de toutes les couleurs, ainsi qu’une affiche qui disait : « Glaces du bonheur ».  Tout content, il se dirigea dans la ville.

Au début, les gens le rencontrèrent avec hostilité. Ils ne voulaient pas lui acheter ses glaces, certains d’entre eux crachèrent dans sa direction et lui crièrent des mots méchants. Il faut dire que la plupart des gens de cette ville furent  vraiment malheureux. Ils possédaient tout pour être heureux, mais ils ne s’en rendaient pas compte. Et aussi ils détestaient les étrangers. Ceux qui ne leur ressemblaient pas.

Dommage ! Ils ignoraient, par exemple, que Jacques Bleumuseau fut bien élevé et très ordonné. A table, il mangeait toujours avec des couverts et une serviette, s’exprimait poliment et pliait soigneusement son pyjama chaque matin. Il connaissait également qui et quand avait fondé la ville (ce que la moitié de citoyens ignoraient !), ainsi que parlait couramment trois langues. La langue des gens, la langue des loups et encore une autre langue dont personne n’avais jamais entendu parler.
Donc, personne ne s’approchait de Jacques pour lui acheter ses glaces.

Jusqu’à ce qu’un petit garçon, attiré par les ballons de toutes les couleurs, ne piqua une crise de colère. Il annonça à sa mère qu’il voulait absolument goûter aux glaces du bonheur, faute de quoi il menaçait d’entreprendre une grève de faim. Sa mère, une dame au visage aigri et aux boucles d’oreilles rouges, fut obligée de capituler. Elle tendit une pièce de monnaie à Jacques Bleumuseau et, les dents serrées, demanda:

– Une boule, monsieur loup… s'il vous plaît.

A peine le garçon lécha sa glace qu’il se transforma d’une canaille tyrannique en un gamin tout à fait heureux. En sautillant à cloche-pied, il accourut à sa mère, la remercia et l’embrassa sur la joue.

– Maman, je suis heureux! Tu es si belle! Je n’ai plus besoin d'autre chose, tu peux même ne plus m’acheter le vélo que je t’extorquais pendant un an!

– Passe-moi ça ! s’exclama la dame aux boucles d'oreilles rouges, arrachant la glace des mains de son fils. Mais celui-ci fut si heureux qu’il ne protesta même pas. Il courut à la place pour jouer auprès de la fontaine.

La dame croqua immédiatement dans la glace, et à peine elle finit de mâcher que son visage rosit et un sourire éclaira ses lèvres.

En la regardant, les citadins se précipitèrent pour acheter les glaces de Jacques. En quelques minutes toute la crème glacée fut vendue. La place se remplit de gens heureux. Certains causaient gaiement à propos du beau temps, d’autres contemplaient les enfants jouant près de la fontaine, d'autres encore se mirent à danser sur-le-champ, au beau milieu de la place.

Comme l’avait espéré Jacques Bleumuseau, les habitants de la ville changèrent leur attitude envers lui. Tous ceux qui avaient goûté à la crème glacée de Jacques, le remerciaient ; certains même le tapotèrent sur l'épaule.

Le lendemain Jacques retourna en ville pour vendre les glaces du bonheur à tous ceux qui ne devinrent pas heureux la veille. Et le lendemain aussi.

Lorsque tous les habitants de la ville trouvèrent leur bonheur, Jacques Bleumuseau prit pour habitude de faire ses promenades au centre ville tous les après-midi. Personne ne le fuyait désormais, parfois on lui adressait même la parole.

– Comment vous portez-vous, monsieur loup? Eh bien, venez nous rendre visite, à l'occasion! disait un, sans laisser d'adresse, pourtant.

Un autre remarqua avec enthousiasme:

– J’y suis allé plusieurs fois, dans les bois. Un endroit merveilleux. Merveilleux ! Evidemment, on ne peut pas le comparer à la ville, hihi ! Mais après tout, c’est normal ! C’est ici, la civilisation…

Une fois Jacques surprit une conversation dans un café, à la table voisine :

– Oh, ces loups… Nous sommes tellement bons avec eux, bien qu’il s’agisse, au fond, d’un public assez sauvage, rustre…

– Allons, allons… Certains d'entre eux sont assez décents… Les originaux, vous savez !

– Bien sûr, bien sûr… Et puis, nous sommes tellement gentils et heureux. Ce n’est pas grave… Qu'ils vivent dans notre ville ! Cependant, comme qui dirait, il n’y a pas besoin de les inviter à la maison. On ne sait jamais. Après on pourrait se retrouver avec un canapé plein de poils. Pire encore, des puces !

Jacques Bleumuseau retourna à la maison, en oubliant son parapluie au café.

Il se fit une tasse du chocolat chaud et s’assit à table. Puis il se souvint qu'il n’avait toujours pas goûté de glaces du bonheur. Heureusement, il en restait encore un peu dans le réfrigérateur, au fond de la marmite. Il se servit et revint à table. En grattant distraitement la glace avec une cuillère, Jacques réfléchissait. Il n’avait jamais pensé à se faire inviter chez qui que se soit. Mais maintenant, il était triste. Les gens arrêtèrent de le haïr, mais personne ne l’aima pour autant. Il fut un étranger dans cette ville.

Jacques sortit de sa maison. Sans mettre sont duffle-coat. Il faisait déjà nuit. C’est seulement aujourd'hui que  Jacques remarqua que la nuit, ce furent la lune et les étoiles qui éclairaient le monde. Alors qu’avant il ne remarqua que les lumières de la ville.

Jacques Bleumuseau fut déjà loin quand il remarqua qu’il se déplaçait dans la direction opposée de la ville. Il ferma les yeux et aspira l’air avec ses grandes narines. Cela sentait comme dans son enfance. Des herbes amères et des marécages. Ce fut l’odeur de la maison de sa grand-mère, il lui sembla.
Jaques se pencha et se mit à quatre pattes. Il faisait déjà comme ça quand il fut un louveteau. Il fut agréablement surpris de se sentir très à l'aise de marcher ainsi. Il se souvint aussi que petit, il hurlait à la lune avec ses grands-parents. Seulement maintenant, il ne se souvenait plus à quoi ils ressemblaient. Il essaya de hurler, mais il s’en résulta plutôt un sifflement. Jacques se racla la gorge et essaya de nouveau. Cette fois-ci il y arriva.

– Tiens donc, se dit Jacques, je sens que je commence à me rappeler de quelque chose d’autre.

Et il courut. D’abord, tout doucement, au trot. Puis plus fort, puis au galop. Les herbes et les branches de buissons le fouettaient dans cette course, le vent sifflait dans ses oreilles. Enfin, il se retrouva sur une colline, toute bleue de myrtilles.

Jacques baissa sa tête dans une brousse de myrtilles et se mit à manger les baies. La première fois, depuis son enfance, il mangeait sans couverts, ni serviette et ça lui faisait du bien. Et quand il leva la tête, tout son museau était couvert du jus de myrtilles.

Et puis Jacques Bleumuseau se rappela de tout.

Sa famille appartenait à une race de loups très rare. Ces loups-là vivaient à part et se nourrissaient exclusivement de myrtilles. Mais un jour ses parents décidèrent de déménager en ville, afin que leur fils ait toutes ses chances de réussir sa vie. Ce fut donc la langue des loups aux museaux bleus, que Jacques Bleumuseau parlait couramment et dont personne n’avait jamais entendu parler.

Maintenant, Jacques savait qu'il était parfaitement heureux.

Il se mit debout et regarda la dernière fois la ville lointaine, qui était maintenant clairement visible depuis la colline. Il sourit, puis se remit sur ses quatre pattes et courut à la maison. Dans la forêt des loups aux museaux bleus.



Masha Chammas, 07/06/15

mardi 26 mai 2015

Comment la mamie cherchait sa jeunesse


COMMENT LA MAMIE CHERCHAIT SA JEUNESSE
Année de création 2015

Une histoire inspirée par les contes traditionnels russes. Une mamie se rend compte un jour que sa jeunesse n'est plus là. Elle se lance à sa poursuite et rencontre des drôles de personnages sur son chemin avant de retrouver ce qu'elle cherche.

Les textes existent en français et en russe.

Une mamie perdit sa jeunesse. Elle oublia tout simplement où elle l’avait mis.
Elle regarda sous la table. Rien. Elle regarda au four. Rien, non plus.
Puis elle fit un tour dans le jardin en inspectant surtout le grand pommier, au cas où sa jeunesse s’était accrochée sur l’une de ses branches. Mais elle ne trouva aucune trace de jeunesse.
 La mamie ferma alors sa maison à clé et partit à la recherche de sa jeunesse.
Trois jours et trois nuits passèrent avant qu’elle rencontra quelqu’un.
Ce fut un corbeau perché sur une branche d’un grand chêne tout desséché.
 – Est-ce toi qui emporta ma jeunesse dans ton bec ? demanda la mamie.
– Bien sûr que non ! objecta le corbeau. Jette un coup d’œil sur moi : je vais bientôt me transformer en poussière, tout comme ce vieux chêne ! Si je t’avais volé ta jeunesse, crois-tu que je resterais  planté là, comme une branche cassée ?
« Tant pis », se dit la mamie  et continua son chemin.
 Elle marchait, elle marchait, puis elle marchait encore. Soudain elle vit un lion. Le lion remarqua, lui aussi, la mamie. Il rugit en ouvrant grand sa bouche.
– Est-ce toi qui emporta ma jeunesse dans tes dents ? Je ne la trouve nulle part, se plaignit la mamie.
Le lion trouva le comportement de cette vieille paysanne très étrange. Il aimait qu’on le respecte et qu’on ait peur de lui. Le lion se mit alors à grommeler.
– Mais de quelles dents tu parles, vieille sorcière ! Il ne m’en reste que le nom… Jadis je t’aurais déchirée pour une telle arrogance, et maintenant il ne me reste que rugir… Oh, si seulement je retrouvais ta jeunesse… Ou la mienne ! 
La mamie haussa les épaules. Qu’est-ce que les lions peuvent être nerveux !
Et la mamie reprit sa route et marcha pendant un très long moment. Puis elle rencontra le diable.
– Cette fois-ci c’est sûrement toi qui me l’a volé, ma jeunesse ! Je suis sûre que tu l’emportas sur tes cornes ! dit la mamie.
– C’est n’importe quoi ! s’indigna le diable. On ne peut plus sortir se promener, les gens se mettent à te faire des accusations grotesques ! Viens avec moi dans ma grotte, tu chercheras toi-même. En fin de compte, elle pourrait vraiment traîner quelque part chez moi, ta jeunesse.
 La mamie qui fut une personne plutôt dégourdie, acquiesça et sans réfléchir plus longtemps plongea aussitôt derrière le diable dans sa grotte.
Au début elle ne vit rien car il faisait tout noir dans la grotte. Dans peu de temps elle aperçut des pierres précieuses qui brillaient  par ici et par là. Et oui, la grotte fut équipée plutôt pas mal !
 Puis, elle vit de nombreux bocaux de verre. D’énormes bocaux.
– C’est quoi ? demanda la mamie.
– C’est rien… Juste les âmes… répondit le diable.
– Et toi, tu n’ habites donc pas à l’enfer ?
– Mais non ! répondit le diable. J’ai une mauvaise tension … Et puis aussi le rhumatisme. A notre âge on se fatigue vite. Une journée auprès des chaudrons et tu es cuit ! Alors qu’ici il fait si frais, si calme !
– Bon… Je vois que ma jeunesse n’est pas là, dit la mamie. Je vais y aller.
 Mais le diable ne semblait pas vouloir la laisser partir.
– Reste avec moi, proposa-t-il. Je promets de ne pas te mettre dans un bocal ! Je te donne ma parole diabolique. Tu es une drôle de mamie et je crois qu’on aura largement de quoi discuter !
Et il essaya de la convaincre d’abord d’une façon, puis d’une autre. Les diables, ils savent bien le faire.
 La mamie sentit que l’ambiance commençait à se gâter.
– Quoi ? Tu veux que j’écoute jour et nuit les histoires sur tes maladies ? s’exclama-t-elle. Fâchée, elle cogna le diable contre le mur. Pendant qu’il comptait les étoiles qui tournaient autour de sa tête, la brave vieille femme se dirigea vers la sortie.
– Rhumatisme ! Et puis quoi encore !... grommela-t-elle en sortant.
 En se retrouvant à l’aire libre, elle comprit à quel point la grotte du diable fut triste et déprimante.
Elle marchait en écoutant tout ce qui se passait autour d’elle. Les feuilles dans les arbres se mettaient à sonner comme des petites clochettes, bousculées  par le vent. Le jour fut beau et ensoleillé. Mais la mamie eut un coup de cafard, car elle n’avait toujours pas trouvé sa jeunesse.
 Ainsi elle marchait jusqu’à ce qu’elle sortit à la lisière de la forêt. Puis elle atteignit le champ de seigle.
 Dans le champ il y eut des jeunes filles qui dansaient après une journée de travail. Ce fut la saison de la récolte.
 Alors, l’une d’elles chantait et toutes ensemble elles dansaient en une ronde, belles et bronzées. Quand elles souriaient on pouvait voir leurs dents blanches comme des perles.
 La mamie les observait en faisant des petits pas sur place. Puis elle sentit qu’elle ne pouvait plus rester cachée là, derrière les bouleaux. En quelques mouvements énergiques elle se retrouva dans la ronde.
 – Poussez-vous ! s’écria-t-elle.
Les jeunes filles échangèrent leurs regards, étonnées par cette drôle de mamie. Mais elles acceptèrent la vieille femme dans leur ronde.
Contrairement aux apparences, cette dernière se mit à faire des figures que même les jeunes avaient du mal à faire ! Soudain, les filles virent que ce n’était plus une mamie ! C’était une jeune fille, tout comme elles ! Tout comme elles, mais vêtue d’une robe un peu démodée.

Voici l’histoire de la mamie qui chercha et retrouva sa jeunesse !  Rappelez-vous d’elle quand vous serez vieux !


Masha Chammas, 2015

Vous pouvez également trouver les illustrations pour ce conte sur mon autre blog: 
http://cassisrouge.canalblog.com/archives/2015/03/02/31630001.html

Michou et le microbe dentaire

MICHOU ET LE MICROBE DENTAIRE
Année de création 2015

Combien de temps il faut ignorer le brossage des dents avant qu'un invité mystérieux et indésirable s'y installe? Dans ce conte Michou découvre quels dangers guettent les enfants qui s'entêtent à saboter ce rituel indispensable tous les matins et tous les soirs!

Les textes existent en français et en russe.

Michel ou, comme on l’appelait aussi, Michou était quelqu'un de très paresseux. Et très désobéissant. Souvent sa maman lui disait : « Mange vite ta soupe, Michou, elle va se refroidir ! » Mais Michel se mettait à noyer les bateaux de carottes dans sa soupe, y faire des batailles navales. Evidemment, sa soupe devenait vite incomestible…
Parfois on envoyait Michel au magasin, mais à chaque fois il tardait énormément pour rentrer. Une fois il partit chercher du pain pour le déjeuner. Il revint le soir et trouva toute sa famille autour de la table, en train de dîner.
« Ah, Michou ! dit papa. T’es rapide aujourd’hui ! On ne t’attendait pas avant demain matin ! »
Bref, Michel fut le garçon le plus paresseux dans sa rue et même peut-être dans toute la ville. Quant à ses  dents, comme vous le devinez, il ne les jamais brossa de toute sa vie. Et bien sûr que si un petit garçon ou une petite fille ne se lavent jamais les dents, un jour ils se retrouvent avec le microbe dentaire dans sa bouche ! Finalement, Michel en a choppé un.


Un beau matin Michel rentra dans la salle de bain. Il ouvrit le robinet pour que maman entende le bruit d’eau. Puis il vida le tube de dentifrice dans le lavabo. Après il s’assit sur la corbeille à  linge et se mit à gambiller avec ses pieds nus. C’est là où le microbe lui dit :
« Alors, alors, Michel ! Bonjour, mon pote ! ça va bien, la vie ? »
Michel sursauta car il croyait que mis à part lui-même il n’y avait personne dans la salle de bain. Entre temps, le microbe continua :
« Qu’y a-t-il ? On ne reconnaît pas les vieux amis ? Coucou !  Michel, je suis là ! On fera du ménage ici, tous les deux ! Regardez-moi ça, qui donc a eu l’idée de planter toutes ces dents dans une telle jolie bouche ! »
Michel commença à comprendre d’où vient cette petite voix et  ouvrit sa bouche pour voir dans le miroir celui qui lui parlait. A peine il s’approcha du miroir qu’il entendit ce quelqu'un piauler :
« Ça alors ! Fais gaffe, fiston ! Je risque de tomber comme ça ! »
C’est là où Michel repéra un gringalet poilu assis sur sa plus belle dent. L’inconnu fut grisâtre, hideux et repoussant. Sa queue de poisson et son long nez crochu ne laissaient aucune doute de l’identité maléfique de ce type.
Ce dernier continua :
« Ça va , Michel, je ne suis pas fâché de toi. Seulement, ferme un peu ta bouche s’il te plaît, puisque ça crée un courant d’air. Je vais sûrement chopper un vilain rhume ! Tu devrais penser plus à tes amis, car je ne suis plus si jeune que ça, vois-tu… »
Pendant que Michel réfléchissait sur cette dernière suggestion de son nouveau copain, celui-ci continua :
 « Mais dis donc, Mimiche, tu as bien raison de ne pas te brosser les dents ! C’est nuisible à la santé, voire même dangereux – car en te frottant les dents tous les jours tu risquerais d’user ta bouche jusqu’aux trous ! »
« Je vous demande pardon, mais qu’est-ce que vous faites dans ma bouche ? » demanda alors Michel en fronçant ses sourcils.  « Franchement, je ne me rappelle pas de vous y avoir invité ! Jamais personne n’a habité dans ma bouche auparavant ! Et je ne m’y tiens pas du tout, à vrai dire !»


« Allez, allez ! ça suffit de bavarder, non ? évita la réponse le  vieux malin. Veux-tu bien plutôt me souhaiter bon appétit ? »
A ce moment-là Michou remarqua qu’il y avait quelque chose d’autre sur sa dent, juste à côté du microbe. Ce drôle de type avait déjà préparé une petite serviette et des couverts tout rikiki.
« Ne t’en fais pas mon petit Michel,  dit-il. Moi non plus, je n’approuve pas un tel désordre. C’est du n’importe quoi, toutes ces dents ! »
Et tout d’un coup – clac ! – il piqua la dent de Michel avec sa fourchette, en prit un petit morceau et se mit à le mâchouiller.
« Aïe ! poussa un cri Michel.  Ça fait mal ! »
« Exact ! confirme le microbe tranquillement. Tout ça, ça me fait mal au coeur : voir comment souffre mon meilleur ami, mon Mimiche ! C’est puisque t’en a plein, de ces horribles dents ! Mais tu verras, une fois qu’on s’en débarrasse, tu n’auras plus aucun mal ! Allez, Mikhaïl, ta santé ! »
Et sur ces mots le vilain microbe lève sa fourchette et la plante de nouveau dans la dent.
Ainsi il se mit à dévorer la dent de Michou en se servant d’une fourchette et d’un couteau et en s’essuyant la bouche avec une serviette comme une personne tout à fait du beau monde.
Michel essaya de l’attraper, mais le microbe se montra très adroit en se cachant sous la langue de Michel, puis derrière ses dents du bas. Ensuite il s’agrippa sur le molaire du haut et ses pieds visqueux pendirent en laissant clairement voir ses griffes pointues avec lesquelles il s’accrochait aux dents.
Michel examina sa dent dans le miroir et il se rendit compte qu’il y avait déjà apparu un bon trou. Bien grand et bien noir. C’est là où notre Michel comprit que le microbe ne plaisantait pas et qu’il fut tout à fait capable de bouffer toutes ses dents !
Michel s’imagina alors avec une bouche toute démeublée, comme celle de la vieille voisine, madame Appolinaria. Une telle perspective l’horrifia.
Il fallait agir. En un clin d’œil Michou attrapa sa brosse et se précipita à brosser ces dents ardemment. Il eut si peur que le microbe tienne sa promesse qu’au début il oublia même de mettre de la dentifrice sur sa brosse. Quand il s’en rendit compte, il prit le tube de dentifrice dans ses mains, mais c’était trop tard car il l’avait vidé dans le lavabo dix minutes avant.
Soit, Michel attrapa un flacon de liquide bleu avec lequel papa et maman se rinçaient la bouche.
Aussitôt, le microbe se mit à lui crier dessus :
« Mais ça ne tourne pas rond chez toi ! Tu as décidé de me tuer ! Je risque de me noyer comme ça ! »
« C’est bien fait pour toi ! Noie-toi autant que tu veux ! » gronda Michel et continua de rincer sa bouche.
Cette fois-ci le microbe comprit que Michel ne rigolait pas. Le vieux parasite essaya de l’amadouer. Il fit de gros yeux :
« Mais qu’est-ce que t’as, mon petit Michel ? C’était une blague ! Je voulais juste t’aider entre amiiii-iii-i-iiiii-s !... »
Heureusement, en ce même moment Michel crachait déjà le microbe dans le lavabo. Celui-ci essaya tant bien que mal de se sauver et de s’en sortir du tourbillon d’eau. Trop tard ! Le microbe disparut dans le conduit de canalisation. Vite, Michel ferma le trou avec le bouchon.
Faut-il rajouter qu’après cette histoire Michou se mit à se laver les dents plus souvent. Presque tous les jours.

Par contre, il fut tout de même obligé d’aller voir un dentiste. Pour reboucher le trou que le microbe avait réussi à creuser dans sa dent. 

Masha Chammas, 2009, 2015 (rédaction)

Vous pouvez également trouver les illustrations de ce conte sur mon autre blog: 
http://cassisrouge.canalblog.com/archives/2015/03/19/31733731.html

lundi 25 mai 2015

Olya et le trou noir


OLYA ET LE TROU NOIR

Il était une fois une petite fille Olya.
Ses parents furent très ordonnés, ils adoraient par-dessus tout faire le ménage dans leur appartement. Surtout la maman d’Olya.
Olya ne partageait guère cet amour du rangement. Elle, elle adorait par-dessus tout son revu scientifique « Chercheurs en herbe » qu’elle pouvait lire jour et nuit. Quant aux tâches ménagères, elle réfléchissait souvent comment faire une sorte qu’elles se fassent toutes seules.
Un jour Olya était en train de lire un article très intéressant quand sa maman l’envoya au magasin pour acheter du pain. Olya n’eut aucune envie de quitter son coin confortable et son revu adoré, mais que faire !
En y allant elle pensait et repensait à l’article qu’elle venait de lire. Il parlait des trous noirs qui aspirent tout autour d’eux dans l’espace. N’importe quel objet ! Olya se dit alors que ça aurait été chouette d’avoir un tel trou à la maison. Cela lui aurait évité des heures du rangement de sa chambre ! Le trou aurait pu même aspirer les poubelles – comme ça plus personne n’aurait été obligé de sortir les jeter !
En réfléchissant de cette manière Olya entra dans le magasin. Elle vit immédiatement une grande banderole qui disait : « Super promo ! Exclusivement chez nous ! Achetez le trou noir domestique multifonction et vous emporterez un aspirateur de poche en cadeau ! »
Faut-il dire qu’Olya fut ravie d’apprendre que l’on trouve des trous noirs dans le commerce ! En plus, ils coûtaient pas cher du tout. Exactement autant que sa maman lui avait donné pour une baguette de pain. Evidemment – les magasins baissent toujours les prix pendant les promotions !
Bref, ce jour-là Olya n’acheta pas de pain.
La caissière emballa le trou noir dans du beau papier cadeau, expliqua à Olya comment le mettre en marche et lui offert l’aspirateur de poche.
A peine rentrée à la maison, Olya décida de tester le trou noir sur le champ.
Sa maman entendit qu’Olya fut de retour et lui cria :
– S’il te plaît, ma chérie, descends jeter les poubelles ! Je les ai laissées à l’entrée.
 «Dis donc, c’est une bonne occasion», se dit Olya. Elle retira le trou noir de son emballage, le mit devant le sac d’ordures et appuya sur le bouton rouge de la télécommande.
Le trou émit un bruit monstrueux et commença son travail. Il se mit à tourner comme une toupie et avala d’un seul coup les poubelles. Avec un gros morceau du sol.
C’est là où la maman d’Olya sortit de la cuisine.
– Qu’est-ce qui se passe ici ? – demanda-t-elle. – Oh ! Saperlipopette ! Pourquoi on n’a plus de sol à l’entrée, ma chérie ?
Olya rougit car elle ne savait pas quoi dire. De toute évidence la surprise tournait en vinaigre !
– Je voulais… te faire une surprise… C’est un trou multifonction… Et puis aussi un aspirateur de poche… Le voilà.
– Aspirateur de poche ? – s’écria sa maman. – Pour l’amour du ciel, éteins-moi cet engin démoniaque tout de suite !
De toute évidence, le cadeau ne lui plaisait pas.
Elle descendit elle-même pour jeter le trou noir multifonction dans le local à déchets.
Ensuite, mère et fille s’occupèrent de cacher le morceau manquant du sol, dévoré par le trou noir.  Toutes les deux, elles placèrent par-dessus le trou un palmier dans un grand cache-pot. Pour ne pas que papa tombe dedans à son retour du travail.

L’aspirateur de poche, en revanche, fit le plus grand bonheur de maman. Elle le garda. Et bien oui ! – une chose si utile, on n’y tombe pas souvent !

Masha Chammas, 2009, 2015 (rédaction)

mercredi 20 mai 2015

Bébé hibou

Bébé hibou

Moi, la nuit je ne dors jamais,
Bébé hibou, perché sur la branche;
Sages, mes frères, tous les yeux fermés
Font la fierté des parents, en revanche.

Bien d'histoires qui peuplent ma tête,
Bien d'étoiles qui enchantent mes yeux,
C'est pourquoi la nuit, en cachette
Je redresse mon regard vers les cieux.


J'essayais de me faire comprendre,
Je voulais qu’ils découvrent mon monde,
Mais, broyant mes espoirs en cendres,
Ils ne voulaient m'écouter une seconde.

Ma maman, une femme raisonnable,
M'interdit de conter mes histoires,
Elle m'accuse d'être désagréable,
Elle me dit que je suis trop bizarre.

Sans sommeil, cette nuit encore,
Je lui confiais que j'étais poète,
En lui disant que la lune, c'est ma soeur,
Mais elle répondit que j'étais trop bête.

Ô pourquoi mes yeux sont si ronds
Et ma cervelle toute remplie de merveilles? ...
Je ne suis qu’un bébé que l'on gronde,
Bébé hibou qui n'a jamais sommeil.


Masha Chammas


04 avril 2015

Quand les nuages seront multicolores

Parfois, je suis très timide.
Depuis le matin la journée vire au bleu,
Et les chiens dans la rue m’accompagnent du regard…

Parfois, mes cachettes de bonbons sont vides,
Et je prends un air malheureux :
C’est marron, mauve et vert, c’est bigarre…

Il y a les journées où le rouge
Transforme ma tête en une cloche qui sonne,
Et je suis froissé comme une vieille chemise.

Il y a les journées très louches,
Où toutes mes idées s’entassent sans raison.
Il faut alors que je les tamise.

Et quand mon papa vient me voir,
Sait-il que les jours ont chacun sa couleur,
Et que les couleurs se succèdent ?

A peine il me lance un « bonsoir »,
Qu’il est aspiré par son ordinateur,
Figé sous l’emprise du monstre-tablette.

Il est toujours occupé, mon papa,
Il dit « un jour » et « attends ».
C’est gris… Et les toiles d’araignées nous éloignent…

Et moi, j’attends tous les jours ses pas,
Dans ma chambre, déserte galaxie, espérant
Qu’il vienne, qu’il me sauve, qu’il me soigne.

Je sais qu’un jour il jettera son portable,
Et qu’il deviendra sauvage,
Et qu’il me prendra avec lui faire le tour du monde.

Et moi, tout heureux, tout humble,
Sur notre chemin je compterai les nuages
De toutes les couleurs, dans le ciel profond.

Alors, ce jour-là je n’vais plus être bleu,
Ni rouge, ni verdâtre, ni brun.
Et je saurai que papa m’aime encore.

Je serai le plus brave, le plus fort, le plus beau,
Jamais j’n’aurais plus peur de rien
Quand les nuages seront multicolores.



Masha Chammas

20/03/2015