COMMENT LA
MAMIE CHERCHAIT SA JEUNESSE
Année de création 2015
Année de création 2015
Une histoire inspirée par les contes traditionnels russes. Une mamie se rend compte un jour que sa jeunesse n'est plus là. Elle se lance à sa poursuite et rencontre des drôles de personnages sur son chemin avant de retrouver ce qu'elle cherche.
Une mamie perdit sa jeunesse. Elle oublia tout simplement où elle l’avait mis.
Elle regarda sous la table. Rien. Elle regarda au four. Rien, non plus.
Puis elle fit un tour dans le jardin en inspectant surtout le grand
pommier, au cas où sa jeunesse s’était accrochée sur l’une de ses branches.
Mais elle ne trouva aucune trace de jeunesse.
La mamie ferma alors sa maison à
clé et partit à la recherche de sa jeunesse.
Trois jours et trois nuits passèrent avant qu’elle rencontra quelqu’un.
Ce fut un corbeau perché sur une branche d’un grand chêne tout desséché.
– Est-ce toi qui emporta ma
jeunesse dans ton bec ? demanda la mamie.
– Bien sûr que non ! objecta le corbeau. Jette un coup d’œil sur moi : je
vais bientôt me transformer en poussière, tout comme ce vieux chêne ! Si je
t’avais volé ta jeunesse, crois-tu que je resterais planté là, comme une branche cassée ?
« Tant pis », se dit la mamie et
continua son chemin.
Elle marchait, elle marchait, puis
elle marchait encore. Soudain elle vit un lion. Le lion remarqua, lui aussi, la
mamie. Il rugit en ouvrant grand sa bouche.
– Est-ce toi qui emporta ma jeunesse dans tes dents ? Je ne la trouve
nulle part, se plaignit la mamie.
Le lion trouva le comportement de cette vieille paysanne très étrange. Il
aimait qu’on le respecte et qu’on ait peur de lui. Le lion se mit alors à
grommeler.
– Mais de quelles dents tu parles, vieille sorcière ! Il ne m’en reste
que le nom… Jadis je t’aurais déchirée pour une telle arrogance, et maintenant
il ne me reste que rugir… Oh, si seulement je retrouvais ta jeunesse… Ou la
mienne !
La mamie haussa les épaules. Qu’est-ce que les lions peuvent être nerveux
!
Et la mamie reprit sa route et marcha pendant un très long moment. Puis
elle rencontra le diable.
– Cette fois-ci c’est sûrement toi qui me l’a volé, ma jeunesse ! Je suis
sûre que tu l’emportas sur tes cornes ! dit la mamie.
– C’est n’importe quoi ! s’indigna le diable. On ne peut plus sortir se
promener, les gens se mettent à te faire des accusations grotesques ! Viens
avec moi dans ma grotte, tu chercheras toi-même. En fin de compte, elle
pourrait vraiment traîner quelque part chez moi, ta jeunesse.
La mamie qui fut une personne
plutôt dégourdie, acquiesça et sans réfléchir plus longtemps plongea aussitôt
derrière le diable dans sa grotte.
Au début elle ne vit rien car il faisait tout noir dans la grotte. Dans
peu de temps elle aperçut des pierres précieuses qui brillaient par ici et par là. Et oui, la grotte fut
équipée plutôt pas mal !
Puis, elle vit de nombreux bocaux
de verre. D’énormes bocaux.
– C’est quoi ? demanda la mamie.
– C’est rien… Juste les âmes… répondit le diable.
– Et toi, tu n’ habites donc pas à l’enfer ?
– Mais non ! répondit le diable. J’ai une mauvaise tension … Et puis
aussi le rhumatisme. A notre âge on se fatigue vite. Une journée auprès des
chaudrons et tu es cuit ! Alors qu’ici il fait si frais, si calme !
– Bon… Je vois que ma jeunesse n’est pas là, dit la mamie. Je vais y
aller.
Mais le diable ne semblait pas
vouloir la laisser partir.
– Reste avec moi, proposa-t-il. Je promets de ne pas te mettre dans un
bocal ! Je te donne ma parole diabolique. Tu es une drôle de mamie et je crois
qu’on aura largement de quoi discuter !
Et il essaya de la convaincre d’abord d’une façon, puis d’une autre. Les
diables, ils savent bien le faire.
La mamie sentit que l’ambiance
commençait à se gâter.
– Quoi ? Tu veux que j’écoute jour et nuit les histoires sur tes maladies
? s’exclama-t-elle. Fâchée, elle cogna le diable contre le mur. Pendant qu’il
comptait les étoiles qui tournaient autour de sa tête, la brave vieille femme
se dirigea vers la sortie.
– Rhumatisme ! Et puis quoi encore !... grommela-t-elle en sortant.
En se retrouvant à l’aire libre,
elle comprit à quel point la grotte du diable fut triste et déprimante.
Elle marchait en écoutant tout ce qui se passait autour d’elle. Les
feuilles dans les arbres se mettaient à sonner comme des petites clochettes,
bousculées par le vent. Le jour fut beau
et ensoleillé. Mais la mamie eut un coup de cafard, car elle n’avait toujours
pas trouvé sa jeunesse.
Ainsi elle marchait jusqu’à ce
qu’elle sortit à la lisière de la forêt. Puis elle atteignit le champ de
seigle.
Dans le champ il y eut des jeunes
filles qui dansaient après une journée de travail. Ce fut la saison de la
récolte.
Alors, l’une d’elles chantait et
toutes ensemble elles dansaient en une ronde, belles et bronzées. Quand elles
souriaient on pouvait voir leurs dents blanches comme des perles.
La mamie les observait en faisant
des petits pas sur place. Puis elle sentit qu’elle ne pouvait plus rester
cachée là, derrière les bouleaux. En quelques mouvements énergiques elle se
retrouva dans la ronde.
– Poussez-vous ! s’écria-t-elle.
Les jeunes filles échangèrent leurs regards, étonnées par cette drôle de
mamie. Mais elles acceptèrent la vieille femme dans leur ronde.
Contrairement aux apparences, cette dernière se mit à faire des figures
que même les jeunes avaient du mal à faire ! Soudain, les filles virent que ce
n’était plus une mamie ! C’était une jeune fille, tout comme elles ! Tout comme
elles, mais vêtue d’une robe un peu démodée.
Voici l’histoire de la mamie qui chercha et retrouva sa jeunesse ! Rappelez-vous d’elle quand vous serez vieux !
Masha Chammas, 2015
Vous pouvez également trouver les illustrations pour ce conte sur mon autre blog:
http://cassisrouge.canalblog.com/archives/2015/03/02/31630001.html