samedi 25 juin 2016

Le chaudron d'Airy


Les mauvais temps s’abattirent sur la taïga. Le grand froid embrassa la terre avec ses longs tentacules glacés. Tout le gibier disparut. Il ne restait plus rien à manger. Les gens se préparaient au pire.

Mais Airy, une petite fille aux yeux bleus, annonça :

« Ne vous découragez pas, votre temps n’est pas encore venu. Je vais vous tous sauver ! »

Airy se transforma en une grande grue au bec crochu et partit chercher de la nourriture pour son peuple.

Un jour, deux jours, trois jours elle vola. A la fin de la quatrième journée, elle vit une lumière rouge en bas. Airy descendit et vit une cabane.

Elle s’abattit sur le sol et se transforma en une fille aux yeux bleus. Elle entra dans la cabane, en y trouvant une vieille femme toute maigre. La vieille remuait quelque chose avec une louche dans un grand chaudron. Elle ne tourna même pas la tête pour regarder la fille.

« Bonjour, grand-mère ! dit Airy. As-tu besoin d’une travailleuse ?

– J’en ai besoin, tu as bien deviné. Mais je n’ai pas de quoi payer ! répondit la vieille.

– Je veux bien travailler pour toi et je ne demanderai en échange que ce chaudron et ce qu’il contient ! » proposa la petite fille.

La vieille se mit à rire d’une voix grinçante :

« Je vois que tu n’as pas froid aux yeux, petite ! Soit ! Travaille pour moi, et le chaudron t’appartiendra ! »

Elle envoya Airy surveiller ses rennes, les protéger des loups et des ours. La petite tint sa promesse. Pendant une semaine, elle travailla sans relâche. Au bout de sept jours la vieille lui tendit le chaudron en lui disant :

« Je sais d’où tu viens et pourquoi. Tiens ce chaudron : il n’est pas ordinaire. La nourriture qui est dedans ne se termine jamais. Mais gare à toi si tu poses ce chaudron par terre avant d’atteindre ta forêt natale ! S’il touche le sol, tu ne pourras plus le soulever ! »

Sur ces mots, la vieille la laissa partir. Airy s’inclina devant elle en la remerciant, puis elle se transforma en oiseau et repartit chez elle, en portant le chaudron dans son bec crochu.

A mi-chemin, Airy entendit des cris et des gémissements qui provenaient d’en bas. Elle regarda en bas et vit des femmes avec des enfants dans leurs bras.

Les femmes remarquèrent la grande grue.

« Ô oiseau miraculeux ! s’écrièrent-t-elles. Ce sont les gentils esprits qui t’envoient chez nous ! Nos maris sont partis pêcher les poissons en mer et ils ne sont pas revenus. Pitié, ne nous laisse pas mourir, donne-nous ton chaudron, ô bel oiseau ! »

Airy ne pouvait pas les laisser mourir. Elle tendit son cou très-très fort et il devint long comme un serpent. Ainsi elle vit sa forêt natale au loin, à trois jours de vol de là. Affamés, les gens de son village ne pouvaient presque plus marcher.

« S’ils marchent encore, il y a de l’espoir », se dit Airy. Et elle donna le chaudron aux femmes et à leurs enfants qui pleuraient dans leurs bras.

Quand tout le monde mangea à sa faim, Airy essaya de soulever le chaudron, mais comme la vieille l’avait dit, ce n’était plus possible.

Les femmes se mirent à décorer l’oiseau miraculeux avec leurs colliers. Mais il fallait repartir chercher de la nourriture. La grue remonta dans le ciel.

Elle vola un jour, deux jours, trois jours et enfin elle re-marqua une lumière bleue entre les arbres. Ce fut une cabane.

La grue s’abattit sur le sol et devint une fille aux yeux bleus.

A l’intérieur de la cabane, elle trouva une vieille, encore plus maigre que la première. Celle-là remuait également quelque chose dans son chaudron.

Airy se fit embaucher pour surveiller les élans de la vieille. A la fin de son service, la vieille lui offrit le chaudron.

« Ne le pose pas par terre avant de revenir chez les tiens ! » prévint-elle.

« Merci, grand-mère ! » dit Airy, puis elle se transforma en une grue et s’envola avec le chaudron dans le bec.

A mi-chemin, la grue entendit de nouveau des cris et des gémissements. Cette fois-ci, ce furent des vieux et des vieilles qui pleuraient de faim au beau milieu de la forêt.

La grue tendit très-très fort son cou et vit que dans son village les gens furent tous assis par terre, sans bouger.

« S’ils ont encore des forces pour s’asseoir, alors il y a de l’espoir ! » se dit la grue. Elle descendit et donna le chaudron aux vieux. Ils mangèrent tous à leur faim et se mirent à remercier l’oiseau en lui offrant des rubans.

Mais il ne fallait plus attendre.

La grue survola la forêt pour la troisième fois pour trou-ver de la nourriture.

Au bout de quatre jours elle vit une lumière orange et descendit en espérant d’y trouver une autre cabane.

Heureusement, il y en avait une.

Airy s’abattit sur le sol, devint une fille aux yeux bleus et rentra dans la cabane. Elle ne crut pas ses yeux quand elle vit celle qui vivait à l’intérieur. C’était presque un squelette recouvert de la peau ; un squelette qui remuait quelque chose dans son chaudron. La vieille femme regarda Airy.

« Je sais tout de toi, dit-elle. Et toi, sais-tu que tes parents et tous tes voisins ne bougent plus et respirent à peine ? »

Airy voulut tendre son cou pour voir ce qui se passait dans son village, mais elle ne réussit pas à le faire.

« Laisse tomber ! s’exclama la vieille. Ecoute, je te donnerai mon chaudron tout de suite, il n’y a plus de temps à perdre. Mais je te défends de t’arrêter en route ! Sinon ton peuple ne survivra plus ! »

Airy se mit à remercier cette vieille femme, mais celle-là ne voulait plus l’écouter, elle lui claqua la porte au nez.

Cette fois-ci, Airy fit exactement comme la vieille lui or-donna. Elle vola jusqu’à chez elle sans s’arrêter, ni regarder, ni écouter. En plus, son inquiétude pour son peuple fut si grande qu’en une heure elle surmonta la distance qui la séparait de sa forêt natale.

Depuis, les oiseaux dans la taïga sont très joliment décorés car ceux qui virent Airy, toute recouverte de colliers et de rubans, décidèrent qu’eux aussi, ils méritaient d’avoir de tels costumes ! Sans parler d’Airy et son peuple qui adoptèrent pour toujours la tradition d’embellir tous leurs vêtements.

Quant aux trois chaudrons, ils marchent toujours. Les peuples de taïga sont petits, mais leurs grands cœurs offriront toujours assez de nourriture à tous ceux qui en auraient besoin !

jeudi 23 juin 2016

Yuko, les enfants et le monstre Tchubara


Le village où habitait Yuko, était l’un des plus heureux villages au monde. La bonne humeur y régnait et ses habitants étaient tellement joviaux que même des voyageurs se rechargeaient en vitalité en passant par ce village.

Mais un jour un horrible monstre Tchubara en entendit parler. Il y vint pour voir cet endroit miraculeux de ses propres yeux. Le village lui plut et il dit aux villageois :

« Désormais je suis votre seigneur et votre cher hôte. Je vais faire chez vous tout ce qui me passera par la tête ! »

Il traversa le village d’un bout à l’autre en jetant un coup d’œil dans chaque recoin et en répandant partout son haleine fétide.

Après son passage, les villageois ne purent récolter même un seul grain de blé, même un petit navet. Toute la moisson fut détruite. Les vaches tombèrent toutes malades et ne donnèrent plus de lait. Les villageois vieillirent d’un seul coup de dix ans, ils devinrent gris de chagrin.

Après le deuxième passage de Tchubara, tous les arbres jetèrent leurs feuilles, bien que ce fut l’été ; les chiens ne purent plus aboyer, ni les coques – crier. La moitié de tous les papis et de toutes les mamies moururent.

Juste avant de partir, le monstre prévint :

« La prochaine fois je prendrai avec moi vos enfants ! »

Un orage noir s’abattit sur le village. Partout résonnaient des cris et des pleurs des villageois.

Mais Yuko ne pensait même pas pleurer, ni crier. Il ras-sembla autour de lui tous les enfants, des plus petits aux plus grands. Il les rassura et leur apprit quoi faire, quand le monstre reviendrait.

Le jour venu, le monstre arriva au village.

« Où sont les enfants ? » grogna-t-il, ne les voyant pas. Il se mit à fouiller par ici et par là.

« Les avez-vous cachés ? Pourquoi je n’entends aucun bruit ? » rugit Tchubara.

Tout d’un coup apparurent les enfants. Une cacophonie assourdissante accompagnait leur entrée car ils portaient et jouaient chacun d’un instrument de musique : un chalumeau, un mirliton, un tambour, un hochet, une cornemuse. Ceux qui n’avaient rien en mains, hurlaient ou chantaient de toutes leurs forces.

Le monstre en eut si peur qu’il se fit tout petit. Il essayait de fermer ses oreilles avec ses tentacules, mais en vain ! Car rien ne peut arrêter les enfants quand ils se mettent à crier avec toute leur bande.

« Taisez-vouuuuuus ! » hurla Tchubara. Mais les enfants continuaient leur vacarme – tout comme Yuko leur avait appris.

Le monstre se rapetissa davantage.

« Pourquoi faites-vous tout ce bruit ? » s’exclama-t-il.

Yuko lui répondit :

« Tu avais dit toi-même que t’étais notre seigneur et notre cher hôte. Et bien, c’est comme ça qu’on accueille les invités les plus chers – avec la joie et la musique !

– Euh… C’est-à-dire que je ne suis pas tellement cher !… Vous pouvez jouer beaucoup moins fort pour un hôte comme moi ! » rusa Tchubara, en essayant toujours de se cacher les oreilles avec ses tentacules.

« Pas tellement cher, tu dis ? riposta Yuko. Sais-tu, au moins, quel prix on paie pour chacune de tes visites ? On perd notre bétail, on perd nos récoltes ! Nous sommes obligés de tout recommencer à zéro !

– Non, non ! s’écria Tchubara. Je ne suis plus du tout votre cher hôte ! Seulement, pitié – arrêtez-moi immédiatement cette bacchanale ! »

Yuko secoua la tête :

« Donc, tu n’es plus notre cher hôte ? J’aime mieux ça ! L’affaire est à moitié réglée ! » Et Yuko fit un signe aux enfants pour qu’ils jouent de la musique encore plus fort.

« Bardi-barda du diable ! Que dis-tu, je n’entends plus rien ! se plaignit le monstre de ses dernières forces. Encore un peu et je vais m’exploser !

– Dis, tu ne serais pas un peu faiblard ? s’étonna Yuko. Tu disais que tu pouvais tout faire, que tu étais notre seigneur ! A en juger par tous les vieux que t’avais fauchés dans notre village !

– Non, non, je rigolais, c’est tout ! Je ne suis pas du tout votre seigneur ! Pitié ! »

Yuko devint tout grand de colère, deux fois plus grand que le monstre.

« Ah bon ? Pitié ? Ecoute alors, sale monstre : peut-être nous, les enfants, on aurait eu pitié de toi, car les enfants ont de grands cœurs. Mais regarde bien nos parents : ils étaient jeunes et ils devinrent tous vieux de tristesse en une seule nuit ! Alors, ça, on ne te le pardonnera jamais ! Allez, plus fort, les gars ! »

Et les enfants firent le plus fort qu’ils pouvaient. Les plus petits faisaient du tintamarre avec les couvercles des marmites, les autres glapissaient, hurlaient, sifflaient et soufflaient dans leurs cornemuses, battaient les gros tambours.

Le monstre Tchubara ne pouvait plus supporter ça et… il explosa !

Là, où son tentacule tomba, un serpent se mit à ramper. Là où sa jambe tomba, un scorpion apparut.

Les enfants se mirent à attraper ces bêtes venimeuses, mais trop tard. Depuis elles se propagèrent partout dans le monde.

Les villageois étaient de nouveau heureux. Ils oublièrent leurs peines et leur amertume et recommencèrent à vivre comme avant.

En revanche, la fête musicale devint leur plus belle tradition. Chaque année les villageois se rassemblaient au printemps pour chanter, jouer de la musique et faire du bruit. Au cas où. Si jamais le monstre Tchubara avait eu des frères !


mardi 21 juin 2016

Trois dons pour la Terre


Il était une fois le monde plongea dans le chaos.

La famine et la sécheresse s’abattirent sur toute la Terre.

Les fleuves se desséchèrent, les plantes se recroquevillè-rent, les animaux  disparurent. Il n’y avait plus de lumière, il n’y avait plus de bonheur. A leur place, le froid et la nuit éternelle s’installèrent.

Quant aux gens, ils ne voyaient plus de bien en eux-mêmes et en autrui ; personne ne respectait personne ; per-sonne ne prenait plus soin de personne.

Les scientifiques, les chamans et les sages de tous les pays se rassemblèrent pour trouver quoi faire pour sauver le monde. Ils faisaient des calculs, ils regardaient les étoiles, ils interrogèrent les cartes.

Finalement, tous les calculs et tous les augures les em-menèrent vers le même résultat : on sauverait la planète grâce aux trois clés. Ces trois clés serviraient à ouvrir les trois portes cachées dans un endroit secret depuis des millions d’années. Les trois Seigneurs qui  détiennent les trois clés ouvriraient les portes, rentreraient dans l’Inconnu et en apporteraient les trois choses nécessaires pour sauver la Terre, pour y réinstaurer la vie et le bonheur.

Mais personne n’avait une idée où chercher les trois Seigneurs.

Les scientifiques et les chamans se remirent au travail. Leurs calculs scrupuleux et leurs divinations permirent à trouver les pays dont les Seigneurs détenaient les trois clés.

Le Seigneur du premier pays était déjà parti dans un monde meilleur. Il avait laissé un héritier, un jeune Prince.

Le Seigneur du deuxième pays avait connu le même sort. Il avait laissé une héritière – la jeune Princesse.

Dans le troisième pays la situation était encore pire – le Seigneur disparu ne laissa après lui qu’un tout petit garçon.

Mais c’était tout de même mieux que rien !

Les scientifiques et les chamans emmenèrent les héritiers des Seigneurs à l’endroit où étaient cachées les trois portes vers l’Inconnu. Les portes étaient si sales qu’il fallut trois jours et trois nuits pour les nettoyer des toiles d’araignées et de la poussière.

Finalement vint le moment d’agir.

Le jeune Prince entra la clé dans la serrure et la clé se tourna elle-même. L’immense porte s’ouvrit et le Prince y partit.

On ne sait pas combien de temps il s’absenta, mais au bout d’un moment il en sortit. Il portait dans ses mains une boule de lumière, si brillante et si chaude que tout le monde ferma les yeux et cria de douleur. Mais le Prince ne se sentait pas du tout gêné par la boule de lumière.

Puis, il sépara ses mains et la boule de lumière s’envola vers les cieux. La Terre avait de nouveau son étoile de la vie. Les glaciers fondèrent, les fleuves coulèrent. Les habitants de la Terre purent enfin se réchauffer et tiédir leurs cœurs.

Mais il n’y eut toujours aucune herbe dans les champs, aucun poisson dans les fleuves, aucune bête dans les forêts. La chaleur et la lumière ne suffisaient pas : les gens voyaient toujours tout en gris.

Maintenant, c’était le tour de la jeune Princesse de faire un pas dans l’Inconnu.

Elle introduisit sa clé dans la serrure, et la clé se tourna elle-même. La porte s’ouvrit et la Princesse y entra.

Au bout d’un moment elle sortit. Dans ses mains elle portait soit des graines, soit du caviar. Dès qu’elle sépara ses mains, les graines tombèrent et se répandirent partout sur Terre.

Là où une graine rentrait dans le sol, les champs de blé se levèrent, les forêts et les fleurs poussèrent. Là où une graine tombait dans l’eau, apparurent des crocodiles, des poissons et d’autres canailles. Les graines qui restèrent à la surface, donnèrent vie à des bêtes des forêts, des montagnes et des déserts. Enfin, les graines qui restèrent flotter dans l’air, se transformèrent en oiseaux.

Mais malgré la chaleur et le retour de la vie sur Terre, les gens n’étaient pas tout à fait heureux, rien ne réjouissait leur regard. Il manquait toujours quelque chose.

Arriva le tour de l’enfant-roi de rentrer dans la porte de l’Inconnu.

Pendant qu’il insérait la clé dans la serrure de la porte, les conseillers et les ministres de son pays lui donnaient des instructions et des conseils.

« Prenez ça, prenez ci, votre majesté ! »

La porte s’ouvrit et le garçon y entra.

Les ministres et les chamans attendirent longtemps. En-fin, la porte s’ouvrit et l’enfant apparut. Mais il n’avait rien dans ses mains.

Les conseillers et les scientifiques se jetèrent sur lui avec des questions :

« Votre majesté ! Pourquoi n’avez-vous rien pris ?

– Qu’avez-vous vu là-bas ? »

Il répondit :

« On m’a dit de ne rien y prendre. Et on m’a prévenu aussi que si vous posiez des questions, je devrais uniquement décrire tout ce que je voyais avec mes yeux ! »

Les ministres et les grands se mirent à soupirer et à murmurer. De toute évidence, l’enfant-roi s’était fait berner.

Finalement, ils décidèrent de suivre l’instruction que le garçon avait reçue derrière la porte vers l’Inconnu.

«  Qu’il nous dise ce qu’il voit avec ses yeux, dit l’un des ministres, le plus jeune parmi eux. Qui sait, peut-être ça nous apprendra quelque chose ? »

Et les ministres emmenèrent l’enfant-roi dans un champ de blé.

Un vieux ministre dit :

« Que voulez-vous qu’il voie ici ! Il n’y a que des vieilles vaches et des mouches qui les piquent ! »
Mais l’enfant-roi répondit :

« Non, mon oncle. Ce que je vois ici, c’est la beauté ! Regardez-moi toutes ces fleurs, tout ce blé ! Dans la trésorerie l’or est froid, regardez maintenant l’or de ce blé : il est brûlant, il est vivant ! Le blé puise la vie de la terre et la répand partout ! Je vous dis : c’est beau ! »
Les grands et les ministres se mirent à murmurer, tout en balayant du regard tout autour.

Effectivement, ils trouvèrent la nature belle. Le soleil de la joie éclaircit leurs âmes.
Ensuite, ils emmenèrent le petit roi au bord de la mer.

Le vieux ministre continua son pleurnichage :

« Ici, il n’y a sûrement rien à voir ! Il fait froid et le vent glacial nous ronge les os ! »
Mais l’enfant-roi répondit :

« Nous sommes venus ici en tant qu’invités. Pourquoi donc tu insultes notre hôte, la mer ? Fais-tu de même quand tu rends visite à quelqu’un ? Regardez tous : qu’elle est belle, la mer. Ses vagues, comme des brebis, courent les unes après les autres. Elles ne savent pas, les pauvres, qu’en touchant la rive elles se briseront ! Et dans le ciel leurs sœurs, les brebis-nuages essaient de les rattraper, de les prévenir : n’y allez pas, c’est le danger qui vous y attend ! Mais c’est tout de même beau ! Malgré la tristesse… »

Les ministres regardèrent autour d’eux, la bouche bée. Ils furent enchantés, d’abord par les paroles de l’enfant, puis par le paysage qu’ils virent avec leurs yeux, de nouveau ouverts.

Le jeune ministre s’exclama :

« Alors, messieurs ! L’enfant-roi nous a appris à regarder autour de nous et à voir le bien partout ! Il ne suffit pas de vivre dans ce monde et de profiter de ses dons. Nous devons lui rendre hommage en parlant de sa beauté ! Sinon la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, nous ne verrons que de vieilles vaches et le vent glacial ! »

Puis, toute la compagnie retourna au palais.

En passant par la place du palais, ils virent une petite fille mal habillée qui jouait tout près de la fontaine. Ses vête-ments étaient sales et elle bricolait une tour avec des cailloux.

Le vieux ministre recommença :

« Maintenant, il n’y a rien à dire : c’est une scène des plus moches ! Une va-nu-pieds qui joue dans la poussière ! »

« Tu es vraiment inconscient, mon oncle ! répliqua l’enfant-roi. C’est la beauté à l’état pur de ce monde ! L’enfant est un être qui reste toujours beau et propre, même si tu le mets dans une flaque de boue ! »

Les ministres se mirent à rigoler. Le vieux réfléchit un peu, regarda mieux la petite fille et rit aussi. Bien sûr ! En l’observant bien, on voyait ses grands yeux bleus, son visage tendre. Et quand la fillette attrapait les cailloux avec ses petites mains maladroites, on ne pouvait plus se retenir de rire ! Et le vieux ministre rit de soi-même, de son caractère épineux !

A partir de ce jour, tous les ministres de tous les pays du monde conclurent un accord et éditèrent une loi selon laquelle chaque habitant de la Terre devait désormais observer et dénicher la beauté partout dans la nature. Et s’il n’avait pas assez d’imagination pour la voir, il lui suffisait de demander un enfant de le faire à sa place.

Sous peine d’être sévèrement puni par le destin !