jeudi 23 juin 2016

Yuko, les enfants et le monstre Tchubara


Le village où habitait Yuko, était l’un des plus heureux villages au monde. La bonne humeur y régnait et ses habitants étaient tellement joviaux que même des voyageurs se rechargeaient en vitalité en passant par ce village.

Mais un jour un horrible monstre Tchubara en entendit parler. Il y vint pour voir cet endroit miraculeux de ses propres yeux. Le village lui plut et il dit aux villageois :

« Désormais je suis votre seigneur et votre cher hôte. Je vais faire chez vous tout ce qui me passera par la tête ! »

Il traversa le village d’un bout à l’autre en jetant un coup d’œil dans chaque recoin et en répandant partout son haleine fétide.

Après son passage, les villageois ne purent récolter même un seul grain de blé, même un petit navet. Toute la moisson fut détruite. Les vaches tombèrent toutes malades et ne donnèrent plus de lait. Les villageois vieillirent d’un seul coup de dix ans, ils devinrent gris de chagrin.

Après le deuxième passage de Tchubara, tous les arbres jetèrent leurs feuilles, bien que ce fut l’été ; les chiens ne purent plus aboyer, ni les coques – crier. La moitié de tous les papis et de toutes les mamies moururent.

Juste avant de partir, le monstre prévint :

« La prochaine fois je prendrai avec moi vos enfants ! »

Un orage noir s’abattit sur le village. Partout résonnaient des cris et des pleurs des villageois.

Mais Yuko ne pensait même pas pleurer, ni crier. Il ras-sembla autour de lui tous les enfants, des plus petits aux plus grands. Il les rassura et leur apprit quoi faire, quand le monstre reviendrait.

Le jour venu, le monstre arriva au village.

« Où sont les enfants ? » grogna-t-il, ne les voyant pas. Il se mit à fouiller par ici et par là.

« Les avez-vous cachés ? Pourquoi je n’entends aucun bruit ? » rugit Tchubara.

Tout d’un coup apparurent les enfants. Une cacophonie assourdissante accompagnait leur entrée car ils portaient et jouaient chacun d’un instrument de musique : un chalumeau, un mirliton, un tambour, un hochet, une cornemuse. Ceux qui n’avaient rien en mains, hurlaient ou chantaient de toutes leurs forces.

Le monstre en eut si peur qu’il se fit tout petit. Il essayait de fermer ses oreilles avec ses tentacules, mais en vain ! Car rien ne peut arrêter les enfants quand ils se mettent à crier avec toute leur bande.

« Taisez-vouuuuuus ! » hurla Tchubara. Mais les enfants continuaient leur vacarme – tout comme Yuko leur avait appris.

Le monstre se rapetissa davantage.

« Pourquoi faites-vous tout ce bruit ? » s’exclama-t-il.

Yuko lui répondit :

« Tu avais dit toi-même que t’étais notre seigneur et notre cher hôte. Et bien, c’est comme ça qu’on accueille les invités les plus chers – avec la joie et la musique !

– Euh… C’est-à-dire que je ne suis pas tellement cher !… Vous pouvez jouer beaucoup moins fort pour un hôte comme moi ! » rusa Tchubara, en essayant toujours de se cacher les oreilles avec ses tentacules.

« Pas tellement cher, tu dis ? riposta Yuko. Sais-tu, au moins, quel prix on paie pour chacune de tes visites ? On perd notre bétail, on perd nos récoltes ! Nous sommes obligés de tout recommencer à zéro !

– Non, non ! s’écria Tchubara. Je ne suis plus du tout votre cher hôte ! Seulement, pitié – arrêtez-moi immédiatement cette bacchanale ! »

Yuko secoua la tête :

« Donc, tu n’es plus notre cher hôte ? J’aime mieux ça ! L’affaire est à moitié réglée ! » Et Yuko fit un signe aux enfants pour qu’ils jouent de la musique encore plus fort.

« Bardi-barda du diable ! Que dis-tu, je n’entends plus rien ! se plaignit le monstre de ses dernières forces. Encore un peu et je vais m’exploser !

– Dis, tu ne serais pas un peu faiblard ? s’étonna Yuko. Tu disais que tu pouvais tout faire, que tu étais notre seigneur ! A en juger par tous les vieux que t’avais fauchés dans notre village !

– Non, non, je rigolais, c’est tout ! Je ne suis pas du tout votre seigneur ! Pitié ! »

Yuko devint tout grand de colère, deux fois plus grand que le monstre.

« Ah bon ? Pitié ? Ecoute alors, sale monstre : peut-être nous, les enfants, on aurait eu pitié de toi, car les enfants ont de grands cœurs. Mais regarde bien nos parents : ils étaient jeunes et ils devinrent tous vieux de tristesse en une seule nuit ! Alors, ça, on ne te le pardonnera jamais ! Allez, plus fort, les gars ! »

Et les enfants firent le plus fort qu’ils pouvaient. Les plus petits faisaient du tintamarre avec les couvercles des marmites, les autres glapissaient, hurlaient, sifflaient et soufflaient dans leurs cornemuses, battaient les gros tambours.

Le monstre Tchubara ne pouvait plus supporter ça et… il explosa !

Là, où son tentacule tomba, un serpent se mit à ramper. Là où sa jambe tomba, un scorpion apparut.

Les enfants se mirent à attraper ces bêtes venimeuses, mais trop tard. Depuis elles se propagèrent partout dans le monde.

Les villageois étaient de nouveau heureux. Ils oublièrent leurs peines et leur amertume et recommencèrent à vivre comme avant.

En revanche, la fête musicale devint leur plus belle tradition. Chaque année les villageois se rassemblaient au printemps pour chanter, jouer de la musique et faire du bruit. Au cas où. Si jamais le monstre Tchubara avait eu des frères !


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